Le réseau de chaleur de Herstal : un projet de grande ampleur en Wallonie
Sommaire
En janvier 2024, la Wallonie a franchi une étape décisive dans sa transition énergétique avec l’inauguration du premier réseau de chauffage urbain de grande ampleur à Herstal. Ce projet, fruit d’une décennie de planification et d’investissements, incarne l’ambition régionale de décarboner le secteur du chauffage tout en valorisant les ressources locales. Retour sur une réalisation qui pourrait inspirer de nombreuses autres communes wallonnes.
Un projet né de la valorisation des déchets
L’histoire du réseau de chaleur herstalien commence en 2009 avec l’installation d’un nouvel incinérateur de déchets résiduels sur le site d’Intradel, l’intercommunale de gestion des déchets qui dessert 72 communes de la région liégeoise. Cette unité de valorisation énergétique (UVE), connue sous le nom d’Uvelia, traite quotidiennement environ 1 000 tonnes de déchets ménagers résiduels. Dès 2013, les autorités locales ont perçu le potentiel de cette source de chaleur fatale et ont lancé des études de faisabilité pour construire un réseau de chauffage urbain alimenté par l’incinérateur. Le projet a été porté par Urbeo Invest SA, une filiale commune de la Ville de Herstal, d’Intradel et de la Société Régionale du Logement de Herstal (SRLH). Après avoir obtenu un financement européen FEDER en 2016, le projet a franchi une étape décisive en 2018 avec l’attribution du marché de conception, construction et exploitation au consortium français Coriance-SEPOC, qui a créé la société Herstal Energie Verte (HEVE) pour gérer l’infrastructure sur une durée de 20 ans.
Une première phase ambitieuse et réussie
Les travaux de construction ont débuté en 2021 après la publication d’un marché public divisé en quatre lots : l’unité de récupération de chaleur sur l’incinérateur, l’unité de distribution avec chaufferie d’appoint au gaz, le réseau de canalisations enterrées, et les sous-stations dans les bâtiments raccordés. La première phase du réseau a été mise en service commercial en décembre 2023, avec une inauguration officielle en janvier 2024 en présence du ministre-président wallon Elio Di Rupo et du ministre de l’Énergie Philippe Henry. Cette phase initiale a nécessité un investissement de 17,7 millions d’euros, financé à hauteur de 89 % par la Région wallonne et les fonds européens FEDER. Le réseau s’étend sur 4,5 kilomètres et dessert une quinzaine de bâtiments publics et privés du centre de Herstal, notamment l’administration communale, le hall omnisports Michel Daerden, la piscine communale, l’Institut Provincial d’Enseignement Secondaire (IPES), le musée de Herstal, ainsi que des bâtiments du parc d’activités économiques des ACEC.
Le tableau suivant présente les caractéristiques techniques principales du réseau de Herstal.
| Caractéristique | Valeur |
| Mise en service | Décembre 2023 |
| Longueur du réseau (Phase 1) | 4,5 km |
| Investissement Phase 1 | 17,7 M€ (89% subventionnés) |
| Source principale | Incinérateur Intradel-Uvelia (1 000 t déchets/jour) |
| Source d’appoint | Chaudière gaz naturel |
| Bâtiments raccordés Phase 1 | 15 bâtiments publics et privés |
| Capacité à terme | 200 GWh/an |
| Potentiel de desserte | 20 000 ménages |
| Réduction CO2 annuelle | 38 000 tonnes |
Un modèle d’économie circulaire territoriale
Le réseau de chaleur de Herstal illustre parfaitement le concept d’économie circulaire appliqué à l’énergie. La chaleur produite par l’incinération des déchets, qui était auparavant dissipée dans l’atmosphère, est désormais récupérée et valorisée pour chauffer des bâtiments. L’incinérateur Uvelia fournit ainsi au réseau une énergie renouvelable et locale, réduisant la dépendance aux combustibles fossiles importés. Selon les données d’Intradel, l’usine a fourni 225 468 MWh au réseau électrique en une année, soit l’équivalent de la consommation de 51 000 ménages. Le système fonctionne en circuit fermé : l’eau est chauffée par la récupération de chaleur sur l’incinérateur, puis circule dans des canalisations préisolées enterrées jusqu’aux bâtiments raccordés. Dans chaque bâtiment, une sous-station équipée d’un échangeur de chaleur eau-eau transfère l’énergie thermique du réseau primaire vers le circuit de chauffage interne du bâtiment, sans que les fluides ne se mélangent. Cette configuration présente un avantage majeur pour les usagers : ils n’ont plus besoin d’installer ou d’entretenir une chaudière, ni de se conformer aux normes incendie et d’évacuation des fumées. Le contrat “tout en un” proposé par HEVE inclut la fourniture d’énergie, le raccordement, l’installation de la sous-station, son entretien et les relevés de compteurs.
Des extensions déjà en cours et des ambitions métropolitaines
Le succès de la première phase a rapidement conduit à la planification d’extensions. Dès 2024, le réseau a été étendu vers l’écoquartier Rives Ardentes à Coronmeuse, un projet immobilier ambitieux qui prévoit la construction de 1 300 logements, bureaux et commerces sur l’ancien site de la foire de Liège. Cette extension, financée par HEVE dans le cadre de son contrat d’exploitation de 20 ans, marque le début d’une dynamique métropolitaine qui pourrait s’étendre bien au-delà des frontières communales de Herstal. Selon Jean-Louis Lefèbvre, bourgmestre faisant fonction de Herstal, “ce chauffage urbain est herstalien, mais il sera profitable au tout Liège”. Une étude de faisabilité réalisée en 2013 a d’ailleurs identifié un potentiel de développement s’étendant jusqu’au site du Val-Benoît à Liège, ouvrant la perspective d’un véritable réseau de chaleur métropolitain. D’autres extensions sont également à l’étude, notamment vers la FN Herstal et d’autres quartiers de Liège ou de Chertal . À terme, le réseau devrait produire 200 GWh de chaleur par an et desservir l’équivalent de 20 000 ménages, permettant d’éviter l’émission de 38 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année. Ces chiffres placent le projet de Herstal parmi les plus ambitieux de Wallonie et en font un modèle potentiel pour d’autres agglomérations.
Un modèle de partenariat public-privé à reproduire
Le montage financier et organisationnel du projet de Herstal mérite une attention particulière, car il offre des pistes concrètes pour surmonter les obstacles habituels au développement des réseaux de chaleur. Le modèle repose sur un partenariat public-privé équilibré : la phase initiale a été largement subventionnée par les pouvoirs publics (89 % de financement public), tandis que les extensions futures sont à la charge de l’opérateur privé HEVE, filiale du groupe français Coriance. Ce montage présente plusieurs avantages.
D’une part, il permet de mobiliser des fonds publics et européens pour franchir l’étape la plus risquée et la plus coûteuse : la construction de l’infrastructure de base.
D’autre part, il transfère à un opérateur privé expérimenté la responsabilité de l’exploitation et du développement sur le long terme, garantissant une gestion professionnelle et une extension progressive du réseau en fonction de la demande.
Le contrat d’exploitation de 20 ans offre une visibilité suffisante pour amortir les investissements et planifier les extensions.Pour les usagers, le modèle économique se traduit par une tarification compétitive et stable. Comme le souligne Elio Di Rupo, ministre-président wallon de l’époque, le réseau de chaleur permet de proposer “une énergie durable à un tarif préférentiel”, loin des “prix du gaz qui font le yoyo”. Cette stabilité tarifaire est un atout majeur dans un contexte de forte volatilité des prix de l’énergie.
Complémentarité avec les autres réseaux d’énergie
Un aspect souvent méconnu des réseaux de chaleur est leur complémentarité avec les infrastructures énergétiques existantes. À Herstal, le réseau de chauffage urbain ne vise pas à remplacer systématiquement les réseaux de gaz ou d’électricité, mais à offrir une solution optimale pour certains types de bâtiments et de zones urbaines. Le réseau de chaleur est particulièrement adapté aux grands bâtiments avec chaufferie centrale (immeubles d’appartements, bureaux, centres commerciaux), aux équipements publics (écoles, piscines, halls sportifs, bâtiments administratifs), aux process industriels, ainsi qu’aux projets immobiliers neufs ou en rénovation. En revanche, il n’est pas économiquement et techniquement viable de raccorder chaque petit bâtiment à faible consommation, comme les maisons individuelles dispersées. Cette approche pragmatique a été illustrée lors de la réhabilitation de la friche industrielle des ACEC. Le site n’étant pas équipé en réseau public de gaz, les partenaires du projet, dont la Société de Promotion de l’Industrie (SPI), ont choisi de ne pas utiliser les subsides d’équipement des parcs d’activités économiques pour installer le réseau de gaz, mais de privilégier uniquement le réseau de chaleur urbain. Cette décision stratégique a permis de créer une véritable dynamique circulaire et d’augmenter l’attractivité globale du site en le positionnant comme un pôle d’activités économiques durable et innovant.
Leçons et perspectives pour la Wallonie
Le succès du réseau de chaleur de Herstal offre plusieurs enseignements précieux pour le développement de projets similaires en Wallonie.
Premièrement, l’importance de la planification à long terme : le projet a nécessité près de dix ans entre les premières études de faisabilité et la mise en service, mais cette patience a permis de construire un montage solide et pérenne.
Deuxièmement, le rôle crucial du financement public pour amorcer les projets : sans les 89 % de subventions de la première phase, le projet n’aurait probablement jamais vu le jour.
Troisièmement, la nécessité d’une vision territoriale dépassant les frontières communales : le potentiel d’extension vers Liège et les communes voisines est un facteur clé de viabilité économique.
Enfin, le projet de Herstal démontre que la valorisation de la chaleur fatale est une opportunité majeure pour la Wallonie. Selon une étude du Service Public de Wallonie, la région dispose d’un potentiel de 2 400 GWh de chaleur fatale industrielle récupérable. Les incinérateurs de déchets, les industries lourdes, les data centers et les stations d’épuration constituent autant de sources de chaleur qui pourraient alimenter des réseaux urbains, à condition de mettre en place les infrastructures nécessaires.