Le modèle danois de chauffage urbain : une source d’inspiration pour la Wallonie ?

La transition énergétique impose une refonte profonde de nos modes de consommation. Le chauffage des bâtiments, qui représente une part significative de la demande énergétique en Europe, est au premier plan de cette transformation. Dans ce contexte, les réseaux de chaleur, ou chauffage urbain, émergent comme une solution collective et durable pour remplacer les énergies fossiles. En mutualisant la production de chaleur à l’échelle d’un quartier ou d’une ville, ils permettent de valoriser des sources d’énergie renouvelable et de récupération qui seraient autrement inaccessibles. Le Danemark fait figure de pionnier en la matière. Suite à un webinaire récent où une étude de cas sur ce pays a été présentée, nous avons décidé d’analyser en profondeur ce modèle pour en tirer des enseignements pertinents pour la Wallonie.

La réussite danoise : une stratégie planifiée sur le long terme

Le succès du Danemark n’est pas le fruit du hasard, mais d’une politique énergétique volontariste et visionnaire initiée dès les années 1970 en réponse à la crise pétrolière. Aujourd’hui, plus de 66 % des ménages danois sont raccordés à un réseau de chauffage urbain, qui couvre 63 % du marché total du chauffage. Cette performance exceptionnelle repose sur trois piliers fondamentaux.

Une planification territoriale centralisée

Dès les années 1980, le gouvernement danois a mis en place une planification thermique nationale, divisant le pays en zones. Les zones urbaines denses ont été désignées comme des zones de chauffage urbain obligatoire, les zones moins denses ont été allouées au gaz naturel, et les zones rurales aux solutions individuelles. Cette approche a permis de rationaliser les investissements, de garantir une charge de base suffisante pour les réseaux et d’accélérer leur déploiement de manière coordonnée.

Un cadre réglementaire incitatif et progressif

La planification s’est accompagnée d’une série de réglementations visant à sortir progressivement des énergies fossiles. L’installation de chaudières au fioul a été interdite dans les nouveaux bâtiments dès 2013, puis dans les bâtiments existants en 2016. Le gouvernement a fixé des dates butoirs claires pour l’élimination complète du fioul (2035-2040) et du gaz (2045-2050), offrant une visibilité à long terme pour tous les acteurs du marché.

Un modèle de gouvernance unique : le non-profit au service des usagers

La quasi-totalité des compagnies de chauffage urbain au Danemark sont des coopératives sans but lucratif, appartenant à leurs consommateurs, ou des entreprises municipales. Ce modèle de gouvernance garantit que les prix sont basés sur les coûts réels de production et de maintenance, sans marge bénéficiaire. Il assure également une grande transparence et une forte acceptabilité sociale, les usagers étant directement impliqués dans la gestion de leur service de chauffage. Ce système facilite l’accès à des financements avantageux, les prêteurs considérant ces infrastructures comme des investissements sûrs et stables.

Un mix énergétique en pleine transition

L’un des grands atouts des réseaux de chaleur est leur capacité à intégrer une grande diversité de sources d’énergie. Le Danemark vise un mix de chauffage urbain 100 % renouvelable d’ici 2030. En 2024, cette part atteignait déjà 76,9 %. Le mix énergétique danois actuel pour le chauffage urbain est principalement composé de biomasse, d’incinération de déchets, de pompes à chaleur à grande échelle et de chaleur fatale industrielle. Cependant, l’expérience danoise offre un point de vigilance crucial : la controverse de la biomasse. Bien que comptabilisée comme renouvelable, l’utilisation massive de biomasse, en partie importée, soulève des questions légitimes sur son bilan carbone réel et son impact sur la biodiversité. C’est une leçon essentielle pour la Wallonie : la biomasse doit être utilisée avec parcimonie et provenir de sources locales et durables. La véritable révolution en cours est l’électrification du chauffage via des pompes à chaleur à très grande échelle, souvent couplées à des sources de chaleur locales comme la mer (comme à Esbjerg), les eaux usées ou la chaleur des data centers. Ces technologies, combinées à d’immenses installations de stockage thermique, permettent de découpler la production de la consommation et d’offrir une flexibilité précieuse au réseau électrique, en stockant la chaleur produite lorsque l’électricité (souvent éolienne) est abondante et bon marché.

De Copenhague à Charleroi : quelles leçons pour la Wallonie ?

La Wallonie dispose d’un potentiel de développement des réseaux de chaleur considérable. Une étude du Service Public de Wallonie (SPW) estime qu’ils pourraient couvrir jusqu’à 44 % des besoins en énergie finale et 70 % des besoins de chaleur de la région. Pourtant, la réalité est tout autre : seuls 0,5 % de la chaleur est actuellement distribuée par ce biais. Le tableau suivant compare la situation danoise et wallonne, mettant en lumière les défis à relever pour la Wallonie.
Indicateur Danemark Wallonie
Taux de raccordement 66 % des ménages selon les données officielles du Danish Board of District Heating (DBDH), l’organisation représentant le secteur du chauffage urbain au Danemark ~0,5 % des besoins en chaleur
Gouvernance Majoritairement non-profit (coopératives) Principalement privée ou projets publics
Cadre politique Planification nationale et objectifs clairs depuis 1980 Cadre émergent (Arrêté de 2022), pas d’objectifs chiffrés
Source principale Mix diversifié (biomasse, déchets, PAC) Biomasse (85 % des réseaux existants)
Coût de l’infrastructure ~1 million €/km ~1 million €/km
Les principaux freins identifiés en Wallonie sont le coût élevé de l’infrastructure, l’absence d’un cadre légal et financier suffisamment stable et incitatif, et le manque d’objectifs politiques clairs qui permettraient de mobiliser les acteurs sur le long terme.

Une feuille de route pour développer les réseaux de chaleur wallons

S’inspirer du Danemark ne signifie pas copier-coller, mais adapter les principes de succès au contexte wallon. Voici une proposition de feuille de route. 1. Adopter une vision politique et une planification ambitieuse : La Wallonie doit se doter d’objectifs chiffrés pour le développement des réseaux de chaleur et mettre en place une véritable planification territoriale, en identifiant les zones à forte densité thermique et les gisements de chaleur fatale (estimés à 2 400 GWh) comme zones prioritaires. 2. Promouvoir le modèle coopératif et public : Pour garantir des prix justes et l’adhésion des citoyens, il est essentiel de soutenir la création de coopératives citoyennes et de régies communales de l’énergie, à l’instar du projet pionnier de Malempré. 3. Mettre en place un cadre de financement adapté : Le coût initial étant le principal obstacle, les pouvoirs publics doivent jouer un rôle de facilitateur en offrant des garanties pour des prêts à long terme et à faible taux d’intérêt, et en mobilisant les fonds européens disponibles. 4. Prioriser les sources de chaleur locales et durables : La Wallonie doit capitaliser sur son immense gisement de chaleur industrielle fatale. Des projets comme celui d’Herstal, qui valorise la chaleur de l’incinérateur, doivent être multipliés. La géothermie, l’aquathermie et les grandes pompes à chaleur doivent être privilégiées, en limitant la biomasse à un rôle d’appoint.

Conclusion

Le Danemark démontre que le chauffage urbain est l’une des solutions les plus efficaces pour décarboner le chauffage à grande échelle. Si le chemin est encore long pour la Wallonie, le potentiel est immense et les facteurs de succès sont connus : une vision politique forte, une planification rigoureuse, un modèle de gouvernance au service des citoyens et une diversification des sources d’énergie renouvelable. En s’inspirant des meilleures pratiques danoises tout en évitant certains de leurs écueils, comme la dépendance à la biomasse, la Wallonie peut faire des réseaux de chaleur une des artères principales de sa transition énergétique.